Le président de la République Evariste Ndayishimiye a rencontré, ce mardi 24 août 2021 à Bujumbura, les membres de la magistrature burundaise. Une rencontre qui a tourné à une mise en accusation.
Devant le ministre de la Justice, les magistrats, les notaires, les membres du barreau, les cadres et hauts cadres œuvrant dans le domaine de la justice, les magistrats des différentes cours et tribunaux et autres fonctionnaires œuvrant dans ce domaine, le chef de l’Etat a égrené moult maux qui gangrènent l’appareil judiciaire.
Corruption, violation des droits humains, un frein au développement du pays, … le président Ndayishimiye n’y est pas allé par le dos de la cuillère.
« Partout où je passe, ce sont des pleurs de la population. Je me suis dit qu’avant de pleurer devant elle, laisse-moi aller pleurer devant ces juges, s’ils restent de marbre, je vais jeter l’éponge. Vous n’éprouvez vraiment pas de pitié quand vous me voyez pleurer devant vous alors que vous m’appelez père de la nation ? Je reçois plus de mille plaintes par jour et après analyse je les trouve fondées », a déploré le président Ndayishimiye.
Selon le président Ndayishimiye, les investisseurs ont boycotté le Burundi à cause de cette justice corrompue.
« Vous avez mijoté des stratégies pour voler leur argent. Ils ne trouvent nulle part où se plaindre. Quel étranger peut investir dans un pays sans justice, où on vole son argent sans qu’il puisse être rétabli dans ses droits. »
Le président Ndayishimiye se demande comment le pays peut se développer.
« Comment allez-vous avoir des véhicules de fonction et des immeubles servant de cours et tribunaux au moment où vous ne voulez pas que le pays se développe. Aucun développement n’est possible dans un pays sans justice. Il ne peut pas avoir de paix. »
Selon le président de la République, cette injustice est à l’origine de nombreux cas de justice populaire, de violation de droits humains. Et de les inviter à lire le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et il le cite car selon lui, les magistrats ne lisent pas : « (…) Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint à la révolte contre la tyrannie et l’oppression. (…) » Il s’en lave les mains et promet de traquer les auteurs de ces violations. « C’est honteux ce qui se passe dans ce pays. »
Les Burundais adorent le discours mais…
Une partie des Burundais ont salué les remontrances du numéro Un burundais à l’encontre du 3ème pouvoir. D’autres ont parlé de larmes de crocodile vu que le Cndd-Fdd est au pouvoir depuis plus de 15 ans. D’après eux, des actions s’imposent.
« Tant que des promotions de juristes resteront médiocres et que des promotions sont données suivant le militantisme, la situation restera la même. Tant que les chefs de service, chargés du management des juridictions et qui assurent la discipline, sont choisis suivant les partis politiques, on n’est pas encore sorti de l’auberge », confie un magistrat de Bujumbura.
D’après lui, l’impunité, la corruption, l’ingérence des généraux et responsables politiques sont légion dans la magistrature. « Le président le sait. La solution est simple. C’est l’indépendance de la magistrature par la séparation des pouvoirs et la mise en œuvre des recommandations issues des États généraux de la justice. »
Le Collectif des Avocats pour la Défense des Victimes de Crimes de Droit International commis au Burundi (CAVIB), se réjouit aussi du discours du président de la République mais l’exhorte à tenir compte des préoccupations des juges et magistrats qui ont reconnu que les mauvaises décisions de la justice sont en grande partie causées par l’immixtion du pouvoir exécutif, via des puissants officiers généraux de l’armée et de la police ainsi que des dirigeants du parti au pouvoir. « Les réformes à intervenir doivent tenir compte donc de tous ces paramètres en s’attaquant aux racines de ces maux. Les 12 millions de burundais pleurent de l’impunité couplée de corruption qui mine la société burundaise depuis longtemps. »
Face à cette lecture commune qui se dessine, poursuit le CAVIB, les personnes qui ont osé dénoncer ces machinations ont été étiquetées d’être des ennemis du pays jusqu’à être poursuivies en justice via une parodie de justice et actuellement, elles méritent d’être réhabilitées afin qu’elles continuent à contribuer au retour du Burundi sur les rails de l’Etat de droit, de la justice et de la démocratie.
Le CAVIB espère que ce changement de discours rimera avec la prise des décisions conséquentes étant entendu que le président de la République est le magistrat suprême qui doit garantir l’indépendance du pouvoir judicaire en opérant des changements requis.
« Le CAVIB appelle le Chef de l’Etat à dépasser le stade des lamentations et à prendre ce défi immense à bras le corps pour mettre fin à l’impunité chronique et à l’injustice qui ont toujours été à la base des crises cycliques qu’a connues le Burundi. »
Le CAVIB interpelle le président Ndayishimiye de sortir de son mutisme pour recourir au pouvoir lui conféré par les articles 96, 108 et 214 de la Constitution en exigeant des enquêtes exhaustives sur la corruption au sein de l’appareil judiciaire. « Ces enquêtes approfondies permettraient de ne pas mettre tous les juges et magistrats dans le même panier et de châtier sérieusement les juges corrompus et leurs puissants complices. »
Gaudence Uwineza | Phare Africa Bujumbura
Pour prolonger votre lecture sur la corruption des magistrats au Burundi, nous vous proposons cette interview de 2016 faite avec Hilaire Urinkuru, magistrat américain d'origine burundaise à la sortie de son livre « La cause de l’impunité au Burundi : La lâcheté des magistrats ». A retrouver sur www.arib.info en cliquant sur ce lien