La justice française va-t-elle relancer les investigations sur l'attentat déclencheur du génocide de 1994 au Rwanda ? La cour d'appel de Paris se prononce vendredi sur la validité du non-lieu rendu fin 2018 dans cette affaire qui empoisonne les relations franco-rwandaises.
Dans l'espoir d'obtenir un procès en France, les familles des victimes de l'attentat perpétré contre le président rwandais Juvénal Habyarimana avaient fait appel de la décision des juges d'instruction, le 21 décembre 2018, d'abandonner les poursuites contre neuf membres ou anciens membres de l'entourage de l'actuel président rwandais Paul Kagame.
Le 6 avril 1994, l'avion transportant Juvénal Habyarimana, un Hutu, et le président burundais Cyprien Ntaryamira avait été abattu en phase d'atterrissage vers Kigali par au moins un missile. Cet attentat est considéré comme le déclencheur du génocide qui fit plus de 800.000 morts selon l'ONU, principalement dans la minorité tutsi.
Qui est l'auteur du tir fatal contre l'avion présidentiel ? Les enquêteurs français ont longtemps privilégié la responsabilité des rebelles tutsis, menés par Paul Kagame devenu président du pays en 2000, avant de s'orienter -sans davantage aboutir- vers une implication d'extrémistes hutus, soucieux de se débarrasser d'un président trop modéré à leurs yeux.
La validité du non-lieu, rendu par les juges antiterroristes français Jean-Marc Herbaut et Nathalie Poux, a été examinée le 15 janvier à huis clos et pendant près de 8 heures par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris.
A l'audience, le parquet général avait demandé de confirmer cette décision et les magistrats de la cour avaient décidé de prendre six mois de réflexion avant de rendre leur délibéré. Ce dernier sera très scruté dans ce dossier emblématique des tensions entre les deux pays, sur fond d'accusations sur le rôle joué par la France lors du génocide.
"Je crois que le passé est derrière nous", a certes déclaré Paul Kagame cette semaine à Jeune Afrique, lui qui avait rompu les relations diplomatiques avec Paris entre 2006 et 2009 après l'émission des mandats d'arrêt contre ses proches dans cette affaire.
Mais "vouloir rouvrir un dossier classé, c'est vouloir créer des problèmes (...). Si ces choses ne sont pas définitivement éclaircies, nos relations risquent fort d'en pâtir d'une manière ou d'une autre", a-t-il mis en garde dans cet entretien publié mercredi, illustrant la fragilité du réchauffement entre Kigali et Paris sous la présidence Macron.
- Assassinats et témoins disparus -
S'ils ne confirment pas le non-lieu, les magistrats peuvent décider de relancer l'enquête voire de renvoyer tout ou partie des suspects devant une cour d'assises.
L'enquête, ouverte en 1998 après la plainte des familles de l'équipage français, avait d'abord privilégié l'hypothèse d'un attentat commis par des soldats de l'ex-rébellion tutsi du FPR, dirigé par Paul Kagame, devenu président du pays en 2000.
Mais cette thèse du juge Jean-Louis Bruguière a été fragilisée en 2012 après un rapport d'experts, notamment en balistique, qui ont désigné comme zone de tir probable le camp de Kanombe, alors aux mains de la garde présidentielle d'Habyarimana.
Dans cette autre hypothèse, retenue en 2009 par l'enquête du régime rwandais, le président aurait été éliminé par des extrémistes hutu de son propre camp, opposés au processus de paix d'Arusha.
Ce rapport d'experts très disputé avait été rendu après le déplacement des enquêteurs en 2010, sous l'autorité des juges ayant repris le dossier, Marc Trévidic et Nathalie Poux. Mais "la plupart des débris de l'avion avait disparu", "la végétation et (...) la topographie des lieux avaient profondément changé" et la boîte noire n'a jamais été retrouvée, rappelle l'ordonnance de non-lieu.
Seuls éléments matériels récupérés à l'époque de l'attentat: les photos de deux tubes lance-missiles et le rapport d'un officier rwandais rédigé un mois après les faits.
"En l'absence d'éléments matériels indiscutables", l'accusation repose sur des témoignages "largement contradictoires ou non vérifiables", souvent par d'anciens militaires du FPR devenus opposants, notaient les juges antiterroristes dans leurs conclusions pour expliquer leur décision de classer l'affaire, soulignant le "climat délétère" de l'enquête, émaillée d'assassinats, de disparitions de témoins et de manipulations.
AFP