Le candidat de l’opposition ougandaise Bobi Wine, principal adversaire de l’inamovible Yoweri Museveni, a revendiqué vendredi la victoire lors de la présidentielle de la veille, dont les premiers résultats officiels accordent une large avance au président sortant.
Lors d’une conférence de presse en périphérie de Kampala, où les réseaux sociaux sont suspendus et où l’accès à internet est fortement perturbé, M. Wine a « rejeté » ces premiers résultats, dénonçant « une véritable mascarade » et affirmant avoir « largement vaincu » M. Museveni, qui brigue un sixième mandat.
Quelques heures plus tard, des soldats ont encerclé son domicile, ont constaté des journalistes de l’AFP. Le député de 38 ans a assuré se « sentir menacé »: certains militaires ont pénétré dans son jardin et l’ont braqué en silence avec un pistolet, selon lui.
Le porte-parole adjoint de l’armée, Deo Akiiki, a affirmé que les soldats étaient là pour assurer la sécurité et avaient arrêté trois personnes qui tentaient « d’accéder à la maison » du député.
Selon des résultats provisoires, le nouveau parti d’unité nationale de Wine est en passe de devenir la principale opposition au parlement
« Nous avons certainement remporté l’élection et nous l’avons largement remportée », a affirmé plus tôt l’ancien chanteur de ragga face à la presse. Le scrutin a fait l’objet du « pire trucage jamais connu » en Ouganda, selon lui. Il promet de fournir des preuves vidéos une fois l’accès à internet rétabli.
Il a déclaré avoir connaissance de milliers d’irrégularités, citant des bulletins préremplis, des électeurs influencés ou n’ayant reçu de bulletin que pour les législatives et pas pour la présidentielle, ou encore des urnes ouvertes et bourrées dans certains districts.
Populaire auprès de la jeunesse urbaine ougandaise, l’opposant a promis qu’il dévoilerait une stratégie dans les prochaines heures.
La commission électorale a elle rejeté ces accusations de fraude, et demander à M. Wine, Robert Kyagulanyi de son vrai nom, de « démontrer au pays de quelle manière (…) les résultats sont truqués ».
– Au moins 54 morts –
En attendant les résultats complets, prévus « d’ici samedi » après-midi, les premiers dépouillements donnent une large avance au président sortant, Yoweri Museveni, qui dirige l’Ouganda depuis 1986.
Les trois quarts des 44 millions d’Ougandais ont moins de 30 ans et n’ont jamais connu que lui au pouvoir.
Le leader autoritaire de 76 ans est en tête avec 62,74% des voix, contre 29,34% pour M. Wine, selon un décompte donné en fin d’après-midi, basé sur la moitié des 34.600 bureaux de vote du pays.
Patrick Amuriat, un autre candidat de l’opposition, cumule 4,11% des suffrages. Aucun des huit autres prétendants en lice n’atteint la barre des 1%.
Quelque 18 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes jeudi, pour conclure une campagne présidentielle particulièrement violente. En novembre, au moins 54 personnes ont été tuées par la police lors de violences déclenchées par une énième arrestation de M. Wine, maintes fois appréhendé depuis 2018.
Si le scrutin de jeudi s’est « généralement déroulé dans le calme dans tout le pays » selon la commission électorale et la police, Bobi Wine a lui dénoncé des « violences ».
Un diplomate installé à Kampala a déclaré vendredi à l’AFP sous couvert de l’anonymat que des violences isolées avaient eu lieu, ainsi que de nombreuses irrégularités, mais qu’aucun signe de manipulation massive du vote n’avait été constaté.
– Président autoritaire –
Les Etats-Unis, l’Union européenne, les Nations unies et des organisations de défense des droits ont exprimé leur inquiétude sur l’intégrité et la transparence de l’élection.
Une seule organisation étrangère, l’Union africaine, a envoyé des observateurs. Les Etats-Unis ont eux annulé l’envoi d’une mission d’observation, devant le refus des autorités ougandaises d’accueillir nombre de ses membres.
Après une campagne sous haute tension, le rejet des résultats par M. Wine pourrait inciter ses partisans à descendre dans la rue et fait craindre des violences. Le président Museveni a averti que contester violemment les résultats serait considéré comme une « trahison ».
Le dirigeant règne sur l’Ouganda depuis 35 ans. D’abord applaudi comme un leader moderne après les horreurs des régimes d’Idi Amin Dada et Milton Obote, il s’est progressivement mué en président autoritaire, écrasant toute opposition.
Son parti hégémonique, le Mouvement de résistance nationale, a modifié deux fois la constitution pour lui permettre de rester au pouvoir. Toujours réélu au premier tour, à chaque fois avec des soupçons de fraude, M. Museveni fait figure de favori: en Afrique, seuls Teodoro Obiang Nguema en Guinée Equatoriale et Paul Biya au Cameroun ont passé plus de temps au pouvoir sans interruption.
Le choc générationnel avec Bobi Wine, deux fois plus jeune que lui, ne semble pas l’inquiéter. Pendant que son rival faisait campagne en casque lourd et gilet pare-balles, « M7 » comptait ouvertement les jours le séparant d’une nouvelle victoire.
AFP