(Agence Ecofin) - A cheval sur la frontière entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC), le lac Kivu est l’un des plus grands cours d’eau d’Afrique, avec sa superficie de 2700 km2 et son altitude de 1460 m au-dessus du niveau de la mer. Il abrite dans ses profondeurs pas moins de 60 milliards de m3 de méthane dissous, et 300 milliards m3 de CO2. Selon les scientifiques, cette concentration mortelle de gaz peut être utilisée pour stimuler le développement économique.
Un mal pour un bien
Le 21 août 1986, le lac de cratère volcanique Nyos situé au nord-ouest du Cameroun, à plus de 2250 km du lac Kivu, a laissé s’échapper dans l’air un mélange de CO2 dissous avec des composantes toxiques de ses couches supérieures. Le grand nuage de gaz mortel créé par cette éruption limnique a asphyxié environ 2000 personnes dans les villages voisins. À ce jour, les géologues et les vulcanologues évoquent deux possibilités quant à la cause de l’accident : une émission non violente résultant d’une fissure des sédiments imperméables du fond du lac, ou une émission violente provoquée par un glissement de terrain qui a remué les sédiments. Selon eux, ce phénomène d’émanations de gaz est pratiquement impossible à prévoir et aucune mesure préventive ne peut être prise.
Outre une plus forte concentration en méthane et en CO2, le lac Kivu présente les mêmes caractéristiques géologiques que le lac Nyos. Le Kivu est une zone sismique active, et un certain niveau d’activité pourrait générer des vagues dans le lac qui mélangeraient suffisamment les couches pour libérer les gaz emprisonnés, relève la BBC.
Le Kivu est une zone sismique active, et un certain niveau d’activité pourrait générer des vagues dans le lac qui mélangeraient suffisamment les couches pour libérer les gaz emprisonnés, relève la BBC.
De plus, entre 1974 et 2004, la concentration de CO2 dans le lac a grimpé de 10%. Étant donné que les risques d’éruption limniques sont créés par l’augmentation de la concentration en gaz, le même scénario pourrait se produire au Rwanda et en RDC. Le risque est permanent.
« Le Kivu mesure 89 km de long, 48 km de large et est plus de 2 fois plus profond que le Nyos. En raison de sa taille, il a le potentiel pour une éruption limnique majeure et catastrophique où des volumes importants de gaz seraient libérés […] Environ 14 000 personnes vivaient près du Nyos au moment de l'éruption. Plus de deux millions de personnes vivent aujourd'hui aux alentours du lac Kivu, dont environ un million dans la ville de Bukavu, en République démocratique du Congo », a expliqué le limnologue Sergei Katsev de l'Université du Minnesota aux États-Unis, pour alerter sur les risques et l’importance du dégazage.
Étant donné qu’il s’agit de méthane pouvant être utilisé comme combustible, le dégazage pour l'exploitation comme source d'énergie pourrait non seulement aider à éviter une catastrophe, mais aussi régler les problèmes d’accès à l’énergie et stimuler le développement.
Un potentiel de 700 MW compris au Rwanda…
Selon plusieurs estimations, le lac Kivu peut produire plus de 700 MW d’électricité sur au moins 50 ans. C’est près de 4 fois la capacité de production actuelle du Rwanda. De fait, la Communauté économique des pays des Grands Lacs estime que le gaz du lac Kivu peut satisfaire une grande part des besoins énergétiques des habitants des deux rives.
Selon plusieurs estimations, le lac Kivu peut produire plus de 700 MW d’électricité sur au moins 50 ans. C’est près de 4 fois la capacité de production actuelle du Rwanda.
Le Rwanda sera le premier à saisir cette opportunité pour alimenter ses réseaux électriques et essayer de combler son déficit de plus de 50 % en la matière. Le pays dépense plus de 50 millions de dollars par an pour acheter du carburant afin d’alimenter ses centrales. Séduit par ce potentiel, il a lancé en 2008 le projet Kibuye Power 1, une première initiative qui consiste en une production via le méthane du lac, de 3,6 MW dans la ville de Rubavu.
Une étape qui a permis de mieux comprendre le fonctionnement de cette technologie et qui a ouvert la porte au projet KivuWatt lancé en 2016, pour un montant de 200 millions de dollars.
La première phase de ce projet consiste à alimenter trois transformateurs afin de produire 26 MW d'électricité pour le réseau local. La phase suivante consiste à déployer neuf transformateurs supplémentaires de 75 MW pour créer une capacité totale de plus de 100 MW, susceptible de satisfaire une partie de la demande galopante. KivuWatt est piloté par la société américaine ContourGlobal, qui opère déjà au Togo, au Sénégal et au Nigéria, entres autres. La société a signé un accord d’exploitation de 25 ans avec l’État rwandais qui lui achètera son gaz pendant cette période.
En février 2019, le Rwanda a également démontré son engagement à tirer profit des ressources offertes par le lac Kivu en signant un accord avec la société Gasmeth Energy, pour investir 400 millions de dollars afin de produire du gaz butane à partir du méthane.
« Avec cet accord, nous nous attendons à disposer d'un gaz abordable et respectueux de l'environnement », a commenté Clare Akamanzi, directrice générale du Conseil du développement du Rwanda.
Par ailleurs, en octobre de la même année, la société Symbion Power a lancé la construction d’une centrale à méthane de 56 MW à Rubavu. Dans le cadre de ce partenariat avec l’État, la compagnie a mis en place une entité ad hoc dénommée Shema Power Lake Kivu Ltd, qui a obtenu la concession de la centrale pour une durée de 25 ans.
« Ce projet est une synergie avec d’autres projets stratégiques dans lesquels le Rwanda a investi et qui devrait permettre d’apporter plus d’électricité au réseau national, ainsi que d’accroître notre capacité installée. Actuellement de 224,5 MW, elle devra passer à 556 MW d’ici 2024, le temps pour l’ensemble des projets de devenir opérationnels », a affirmé Patrice Uwase, le secrétaire permanent du ministère des Infrastructures. Ces autres projets sont entre autres les centrales de Hakan Peat (80 MW) et de Rusumo (26,7 MW).
…mais manifestement pas encore en RDC
Si du côté rwandais, on s’affaire pour profiter du méthane lacustre, en RDC les choses tournent au ralenti. Une lenteur que l’on pourrait attribuer à la situation politique délicate des dernières années, et qui a été vivement critiquée par la société civile.
« On ne parvient pas à comprendre l’inaction des autorités congolaises. Ce projet serait une réponse aux besoins électriques de la population. Nous pourrions avoir du courant électrique stable et plus abordable. Beaucoup de jeunes auraient du travail et cela réduirait d’une certaine façon le chômage.», a regretté David Cikuru, membre de la Commission environnementale des hydrocarbures et mines au sein de la Société civile du Sud-Kivu.
« On ne parvient pas à comprendre l’inaction des autorités congolaises. Ce projet serait une réponse aux besoins électriques de la population. Nous pourrions avoir du courant électrique stable et plus abordable.»
Ce n’est qu’en 2019 qu’un accord a été signé entre l’Etat et la société tunisienne Engineering Procurement & Project Management (EPPM), consistant pour cette dernière a dégazer la partie congolaise du lac et s’en servir pour produire de l’électricité. Le début des travaux était prévu pour janvier 2021. La société n’a pas encore communiqué sur ce deadline manqué.
Par ailleurs, pour préparer la main-d’œuvre qualifiée nécessaire dans le cadre de ce projet, EPPM va implanter un centre de formation à Goma dans le Nord-Kivu. Le centre va assurer le transfert des compétences pour préparer les populations locales qui vont travailler dans la construction des infrastructures.
Il faut néanmoins relever le retard de Kinshasa par rapport à Kigali dans la mise en œuvre de projets électriques à partir du lac Kivu, mais l’espoir pointe car il semble exister désormais une volonté politique dans ce dossier. Rubens Mikindo Muhima, le ministre congolais des hydrocarbures se dit « très intéressé » et a promis que son pays fera les efforts nécessaires pour y arriver dans les meilleurs délais. A suivre.