Depuis ce mardi 22 Mars 2021, le Président de la République du Burundi est en visite officielle en Egypte, un des pays du Maghreb qui entretient de bonnes relations avec le pouvoir en place. Comme l’atteste un communiqué de la Présidence : « Cette visite est la manifestation de la volonté des deux chefs d’Etat d’affermir davantage les excellentes relations d’amitié et de coopération qui lient les peuples et les Etats d’Egypte et du Burundi. »
La coopération entre le Burundi et l’Egypte s’est matérialisée depuis le 22 mars 1986 à travers un Accord Général de coopération économique et technique signé par les gouvernements de l’époque. Cet accord fait généralement appel à divers domaines de coopération tels que l’agriculture, l’éducation, le commerce, la santé, la communication, le sport et la sécurité. Depuis la crise de 2015, l’Egypte n’a cessé de soutenir le régime à travers des visites de hauts dignitaires de ce pays. On citera la visite très symbolique d’une délégation de la Chambre basse du parlement égyptien conduite par Ali Abdel Aal en mars 2019. A cette occasion, le Président du Senat d’alors Révérien Ndikuriyo avait remercié la délégation présente pour son soutien aux différents projets de développement en l’occurrence celui de la gestion intégrée des ressources en eau. En 2019, l’Egypte a appuyé deux grands projets au Burundi, celui de la rénovation de l’hôpital de Gitega et la construction d’une deuxième ligne de transmission de 110Kw de Bubanza vers Bujumbura.
Une visite qui se fait dans un contexte diplomatique particulier
C’est le méga barrage hydroélectrique de la Renaissance Ethiopienne sur le Nil Bleu que construit l’Ethiopie à Guba, au Nord-Ouest qui est la source des tensions entre trois pays (Egypte, Ethiopie et Soudan). D’une hauteur de 145 mètres et d’une capacité de 74 milliards de mètres cubes d’eau, ce grand barrage sera le plus important barrage hydroélectrique d’Afrique. L’Ethiopie estime que ce projet est légitime et important pour son développement économique, ce que réfute l’Egypte. Les deux pays, en aval du Nil, sont continuellement en désaccord. L’Egypte et le Soudan craignent que ce projet mette leurs ressources hydriques en déséquilibre en plus du droit historique sur le fleuve.
« Ce conflit dure depuis longtemps. Il est parsemé de tensions virtuelles, d’une guerre de mots, d’une succession de coups de poker et de furieux brassages. Entre l’Ethiopie et l’Egypte, il suffirait d’une bêtise, d’une exagération de trop, pour que se déchaîne un conflit autour du contrôle des eaux du Nil », affirme un observateur.
Et, autant de fois que le Burundi a reçu une délégation égyptienne, celle-ci n’a jamais manqué de solliciter le soutien du Gouvernement du Burundi sur ce conflit. Pour aider à sortir de l’impasse, le Soudan a sollicité la médiation des Nations Unies, de l’Union Européenne, de l’Union Africaine et des Etats Unis. Pour cette raison, l’Egypte a besoin à ses côtés d’un allié de fait comme le Burundi, où le fleuve Nil prend la source. L’Egypte a plus de 100 millions d’habitants et dépend à 97 % du Nil pour son approvisionnement hydrique.
En effet, depuis le mois de Janvier 2021, l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan ont repris leurs négociations. Le Caire et Khartoum souhaitent un accord contraignant, notamment sur la gestion du barrage et le remplissage du réservoir. Ces négociations qui se sont déroulées en visioconférences étaient menées en présence des observateurs de l’Union Africaine et d’autres observateurs internationaux.
« Ces discussions devraient ouvrir la voie à des négociations tripartites. Un document de travail a été diffusé au sein des trois pays aux fins des négociations malgré qu’il ait été rejeté par l’Egypte. L’Ethiopie fustige l’attitude de l’Egypte qui veut faire du GERD une diversion face aux problèmes internes puisqu’il est conscient que ce barrage ne lui fera pas toutefois tort » selon France Culture. Les trois parties veulent alors négocier un accord avec des garanties sur la durée de remplissage, sur la quantité d’eau que l’Ethiopie libèrera une fois que le barrage sera en pleine activité, et sur la gestion des différends à l’avenir.
Pire, les choses n’ont pas avancé. « Nous ne pouvons pas continuer dans ces négociations infructueuses », avait affirmé Yassir Abbas, le Ministre soudanais de l’irrigation. Au contraire, l’Ethiopie fonce toujours sur le projet en annonçant au remplissage du réservoir, qu’un accord ait été conclu ou non. Ces derniers jours, les relations entre Khartoum et Addis Abeba se sont détériorées, en raison des tensions dans la région frontalière d’Al Fashaqa où les agriculteurs Ethiopiens cultivent des terres fertiles revendiquées par le soudan. En attendant l’aboutissement des négociations, le barrage construit a plus de 70% sur fonds propres est déjà en phase de remplissage. Il y a des fortes probabilités que le barrage fonctionne sans que ces accords soient conclus.
Dans ce contexte, à quoi rime la visite du Président burundais en Egypte dans un contexte comme celui-ci ? La réponse nous a été donnée par un analyste contacté par la rédaction « C’est une visite sans enjeux économiques majeurs. Elle est faite dans une dynamique des relations d’influence entre les deux pays où l’Egypte fait aboutir et dominer son intelligence économique sur le Burundi par l’exploitation des relations hydrauliques basées sur le Nil. »
Lors de sa visite au Burundi en avril 2018, le ministre égyptien des affaires étrangères Sameh Shoukry a exprimé au cours de sa réunion avec le président du parlement de l’époque Pascal Nyabenda l’intérêt que porte son pays au renforcement des relations avec les pays du bassin du Nil en général et le Burundi en particulier. Le Président du parlement burundais avait affirmé de son côté que le Burundi est prêt à soutenir l’Egypte pour assurer sa sécurité de l’eau. Cela avait été bien illustré par Yassoumin Farouk dans son article « l’Egypte est-elle encore une puissance régionale » qu’il a publiée dans le journal Cairn.info en 2010 :
« L’Egypte essaie de séduire les pays nilotiques à travers le développement accélérée des relations économiques et bilatérales. En réalité, l’adoption du pacte du Nil a conduit le régime égyptien à repenser la matrice de ses relations avec les Etats riverains du Nil. Le classement du dossier nilotique comme une question de sécurité nationale d’Etat a toujours été une constante de la politique égyptienne. Mais le régime Moubarak a négligé l’importance des relations diplomatiques, économiques, culturelles profondes dans la création d’une communauté d’intérêts avec autres pays riverains. C’est ainsi que la capacité de l’Egypte, dorénavant perçue comme étant plutôt arabe qu’africaine a progressivement reculé. La consolidation des relations avec les pays du bassin du Nil ne pouvait que servir la puissance et les intérêts régionaux d’Egypte. Toutefois, là aussi la diplomatie égyptienne s’est prouvée plutôt réactive que proactive. »
Visiblement, le Président Abdel Fatah Al Sissi veut bien renforcer encore les relations avec les pays nilotiques d’où la visite du Président nouvellement élu du Burundi en Egypte. Pour le moment, le gouvernement du Burundi compte, au-delà des discussions qui seront faites entre les deux Chefs d’Etats, inviter les investisseurs Egyptiens à tirer profit des opportunités et du bon climat des affaires qu’offre le pays selon le communiqué de la présidence. Cette visite est précédée par une visite de haut niveau du président de l’Ethiopie Sahel Work Zewde effectuée en février 2021 pour le renforcement de la coopération et des liens bilatéraux entre les deux pays.
A en croire aux différents observateurs de la politique burundaise, la question du Barrage de la Renaissance était aussi l’un des principaux motifs de la visite du président éthiopien au Burundi. On ne saura pas les conclusions tirées sur ce point qui était au centre des échanges.
Steve Baragafise| pam Bujumbura