L’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB) dénonce plusieurs cas de torture après les incursions armées de 2020. L’organisation pointe la police et le service national de renseignement (SNR). Quant à l’Institut français des relations internationales (IFRI), il a rencontré en lumière la mainmise du parti au pouvoir, le CNDD-FDD, sur les institutions étatiques.
Dans son dernier rapport de mars 2021 intitulé « Rumonge : Actes de torture et meurtres au nom de la sécurité »,l’Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB) indique avoir documenté, après les incursions armées de 2020, plusieurs cas de torture, notamment parmi plus de 80 personnes arrêtées, dans plusieurs provinces où des attaques ont été signalées, entre fin août et début octobre 2020.
En septembre 2020, des policiers ont arrêté et battu des membres d’un groupe armé dans la commune de Mugamba (province de Bururi) et ont tué au moins l’un d’entre eux. De plus, poursuit l’IDHB, au moins 6 autres hommes accusés de collaboration avec des opposants armés ont été torturés par le SNR en septembre 2020 et janvier 2021. Parmi eux, 4 membres du Congrès national pour la liberté (CNL). « De nombreux membres de ce parti ont été accusés de privilèges avec des groupes armés. Des agents du service de renseignement ou de la police, en collaboration avec des Imbonerakure et des autorités locales, ont arrêté ces hommes dans trois provinces et les ont transférés au siège du SNR à Bujumbura. »
D’après l’IDHB, certains d’entre eux ont d’abord été détenus et torturés dans des cachots locaux de la police ou dans les bureaux provinciaux du SNR. Des policiers du GMIR et des agents du SNR en ont détenu certains sous la menace d’une arme à feu, ou bien les ont battus lors de leur arrestation ou de leur transfert au SNR. Selon l’IDHB, l’une des victimes a déclaré que quand, il a été transféré à Bujumbura, un policier lui a craché dessus et l’a frappé au visage. « C’est comme un signal à la police de me tortionnaire »,a indiqué la victime. Dans le véhicule, le policier l’a frappé avec une ceinture, fait savoir l’IDHB, lui a donné des coups de poing et l’a insulté du fait de son appartenance à l’ethnie tutsi.
Une justice complice
L’IDHB assure qu’en septembre 2020 et janvier 2021, des agents du SNR, à leur siège à Bujumbura, ont torturé trois détenus avec une aiguille, notamment, dans un cas, sur ses parties génitales, et en ont frappé deux autres avec des câbles métalliques. « Ils ont forcé un autre détenu à pénétrer dans un espace confiné où il était entouré de pointes métalliques acérées pendentif qu’ils le torturaient. S’il bougeait, les pointes s’enfonçaient dans sa chaise. »
D’après cette organisation, certaines autorités judiciaires ont coopéré pour dissimuler la torture. « L’un des membres du CNL a déclaré que lors de son interrogatoire, il a montré des signes de torture à un fonctionnaire du parquet. Le fonctionnaire a répondu : ''Toi, tu n’as qu’à répondre. Versez le reste, tu n’as rien à dire''. Une autre victime de torture a déclaré qu’une autorité judiciaire a menacé de le renvoyer au SNR , il continuait à parler de son calvaire. »
L’IDHB affirme n’avoir pas eu connaissance d’arrestations ou de poursuites contre des agents du SNR ou de la police pour avoir torturé ou tué des opposants présumés depuis 2020, malgré les promesses du gouvernement de mettre fin à l’impunité. « En janvier 2021, certains agents du SNR, y compris des individus connus pour avoir commis des violations des droits humains pendentif plusieurs années, ont été arrêtés sur des accusations de commerce illicite et de détournement de fonds. Si certains Imbonerakure et certains policiers ont été condamnés pour des crimes violents et, dans quelques cas, pour des violations des droits humains, cela reste une goutte d’eau dans l’océan, la grande majorité des auteurs d’exactions n’ont pas été tenus de rendre des comptes pour leurs actes. »
La mainmise du CNDD-FDD sur l’appareil étatique
Dans une note intitulée « L’après-Nkurunziza : recette totale du CNDD-FDD »,Thierry Virculon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI), et Henri-Paul Magloire chercheur spécialiste du Burundi, indiquent que le CNDD-FDD a conforté sa domination sur un système institutionnel qu’il a modifié avec la révision constitutionnelle de 2018. « Taillé sur mesure et réforme des obligations de concertation et d’inclusivité politiques, ce système institutionnel est maintenant complètement aux mains des sécurocrates du parti qui se sont illustrés dans la répression de la crise de 2015 et ne certains sont sous sanctions internationales.»
Selon ces chercheurs, le seul grand changement post-électoral au Burundi est la nouvelle politique sanitaire qui a mis fin au déni de réalité sur la pandémie au Burundi et qui devrait permettre d’améliorer sa gestion. « En revanche, comme le leadership du CNDD-FDD reste inchangé, sur observer une continuité du référentiel idéologique et politique et surtout la consolidation de la domination totale du CNDD-FDD. Ce pouvoir est déjà absolu de fait après la crise politique de 2015 et la fuite de l’opposition et des organisations de la société civile à l’étranger. » Selon ces chercheurs, le système CNDD-FDD est devenu absolu de droit avec la Constitution révisée en 2018 qui a mis fin aux obligations de concertation et d’inclusion de l’opposition. Les chercheurs donnent l’exclusion des anciens présidents du Sénat, fin d’une représentation obligatoire de l’opposition au gouvernement et dans les instances dirigeantes de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Pour les chercheurs de l’IFRI, la possibilité d’une ouverture du régime qui permettrait une résolution de la crise politique est renvoyée à un futur lointain et le harcèlement à l’encontre des militants du CNL reste d’actualité. « Ces continuités n’échappent ni aux Burundais ni à l’opposition armée qui a pris acte de l’absence d’ouverture à Bujumbura en lançant une nouvelle attaque en territoire burundais à la fin du mois d’août 2020. »
De plus, soulignent les deux chercheurs, la formation du gouvernement révèle que les « sécurocrates » du CNDD-FDD, c’est-à-dire les leaders militaires du mouvement pendant la guerre civile, sont plus que jamais aux commandes. « Ils occupent l’ensemble des postes-clés. Le nouveau gouvernement est composé de 15 ministres. Le Premier ministre est Alain Guillaume Bunyoni, un pilier du système sécuritaire burundais depuis près de 15 ans et commissaire de police général. Le ministère de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique est désormais représenté par Gervais Ndirakobuca, alias Ndakugarika, également commissaire de police en chef. Tous deux sont issus du cercle des généraux, le centre décisionnel du CNDD-FDD. »
Thierry Virculon et Henri-Paul Magloire soulignent que la place renforcée des « sécurocrates » dans le régime se confirme à travers les nominations des gouverneurs. Sur les 18 gouverneurs, cinq sont des officiers supérieurs issus de l’armée et de la police. « Ces nominations traduisent la volonté de verrouiller les provinces d’opposition à savoir la capitale, Bururi et Cibitoke et celles qui sont stratégiques dans un contexte où les tentatives d’infiltration de l’opposition armée se poursuivent. » De plus, la place prééminente des « sécurocrates » dans le nouveau gouvernement s’accompagne d’une domination totale de l’Assemblée nationale et du Sénat par le parti majoritaire.
« Alors que, conformément à l’accord d’Arusha, la Constitution de 2005 faisait de l’inclusivité politique et ethnique le principe d’organisation des institutions, la révision constitutionnelle de 2018 par le CNDD-FDD a mis fin à l’obligation d’inclusion politique en supprimant le principe de majorité des deux niveaux de voix pour adopter une loi, le seuil de 5 % des votes aux élections législatives pour faire partie du gouvernement et les sièges réservés aux anciens présidents au Sénat. » Du coup d’Etat, les institutions émet des dernières élections sont donc les premières institutions post-Arusha et consacrent la domination sans partage du CNDD-FDD.
Steve Baragafise|pam Bujumbura