Discrédité par les décisions contradictoires qui riment avec nominations et sanctions, le discours du Président Evariste Ndayishimiye est de plus en plus remis en cause. A la tête d’un Etat faiblement institutionnalisé où les hiérarchies résistent mal aux dynamiques de changement initiées par le nouveau Président, le Burundi demeure toujours un Etat marqué par la militarisation de l’espace public, l’usage de la punition, l’absence de séparation du pouvoir et le bricolage juridique.
Appels au changement, entre candeur et réalisme ?
Initiés par Pierre Nkurunziza, ces appels aux changements furent souvent adressés à l’endroit de tous les administratifs du pays dans ses fameuses séances de moralisation. Il les appelait plus à un sursaut patriotique pour le bien du pays. Elles ont été reprises récemment par Evariste Ndayishimiye dès son arrivée au pouvoir. Au cours de ces dernières, Ndayishimiye devient le Maitre du jour. Il impose sa pédagogie. Il choisit les thématiques à aborder. Le plus souvent, son discours plaide l’urgence de développer et de réformer en profondeur le Burundi à travers la promotion de la bonne gouvernance dans les secteurs de la vie nationale, un changement vertical, c’est -à-dire du bas vers le haut. Ici, ce sont les leaders qui sont interpellés.
« Le changement doit passer par une évolution de mentalités et une conscience entièrement éveillée et renouvelée. Le pays souffre de l’inconscience de ses leaders qui n’ont plus le sens du service public. Nous déplorons le comportement de certains fonctionnaires qui brillent par leur absence au travail, leur incompétence et leur corruption. A ceux-là, nous annonçons la fin du laxisme » dit-il dans l’une de ses séances de moralisations des autorités publiques tenue dans les enceintes de l’Institut National de Santé publique le 29 avril dernier.
Evidemment, quant à la corruption, c’est le contexte économique du pays qui surdétermine déjà la nature de ce discours qui est déjà adapté pour une raison :
« Ce genre de discours marque la recherche d’une certaine approbation. Son but est de créer des conditions pour installer une idéologie concernant le changement ou le maintien d’une réalité politique à un moment donné » estime Jules Ndabemeye politologue, contacté par la rédaction. Cette réalité politique dont il parle est tout ce discours officiel qui appelle au changement en luttant contre la corruption qui gangrène le pays. Qui plus est, aujourd’hui, le Burundi connait plus une gouvernance où l’élite intellectuelle semble être déboussolée et les masses paysannes désenchantées. En cause, ce pays étant l’un des pays les plus pauvres du monde, il occupe également les tréfonds des pays qui attirent le moins d’investisseurs étrangers selon le classement de 2021 fait par le cabinet Deloitte pour n’en citer que ça. Il s’agit des traits les plus visibles du contexte sociétal actuel du pays.
Cette situation reste inchangée et le Président Evariste Ndayishimiye veut redoutablement s’y attaquer. Pour y arriver, il veut bien contrôler toute l’élite technocratique du pays. Il observe leurs manquements et choisit l’usage de la punition individualisée comme une arme de persuasion. Les cas les plus emblématiques est celui du Directeur Général de l’Office des Transports en commun, OTRACO en sigle qui a été suspendu de ses fonctions sur le champ par Evariste Ndayishimiye le 29 juin 2021 pour le non-respect des termes du contrat signé entre le Gouvernement du Burundi et l’Entreprise Global Smart Technologies.
« Ni le DG ni le patron de GST, personne ne remettra le pied à l’OTRACO. Je demande au DG de fermer les bureaux, dans trois jours, je vais vous montrer comment faire les choses sans eux », ordonne Ndayishimiye.
S’agit-il d’une odeur de corruption ou tout simplement la mauvaise gestion de cette entreprise publique ? Ce que l’on affirme, c’est que le Président a exigé « un audit de l’entreprise pour avoir une idée de l’ampleur de la mauvaise gestion qui la caractérise et a décidé la suspension des activités de Global Society Technical dont la production des passeports biométriques et quitter le Burundi sans délai ».
Cette décision fut à la une des journaux. Burundidailynet a titré « Coup de pattes du Général Ndayishimiye à l’Otraco », « le DG au Sandwich » pour Iwacu, « Monsieur le DG, vous êtes viré ! » pour la twiscopie de Yaga Burundi.
Après quelques jours, cette affaire est jetée aux oubliettes. Et Albert Maniratunga se voit plutôt confié par décret présidentiel des responsabilités plus importantes que les précédentes. « Une décision qui choque par sa contradiction », indique un internaute. Ainsi, le Président se dédit et met une fois pour toute son discours à la croisée des chemins.
Son discours manque d’énergie
Il s’appelle Balthazar Rukundo*. Il vit à Bujumbura depuis son plus jeune âge. Dans sa vie ordinaire, il est commerçant. A la question de savoir comment il a accueilli les sanctions que le président Ndayishimiye a imposées aux différents responsables des services publics dont Albert Maniratunga, il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère.
« Il n’y a aucun secteur public qui n’est épargné par la corruption et la mauvaise gestion du bien public. Le discours du Président sur la lutte contre la corruption est du trompe-œil. Il ne peut pas le démettre de ses fonctions pour une affaire de mauvaise gestion d’une entreprise publique et lui confier d’autres responsabilités plus importantes que les précédentes… », nous confie-t-il.
Cette même question a été posée au journaliste Eric Kubwayo. Il vit au pays et suit de près la politique publique en l’occurrence les discours présidentiels et leurs effets sur le développement des secteurs publics du pays. Sa réponse s’apparente à celle du premier interviewé.
« Pour l’affaire de l’Otraco, on admet que la décision du Président a eu en effet un peu positif car cette institution a décidé d’ouvrir d’autres sites de contrôles techniques en province de Rumonge et Gitega. Pour moi, le problème n’est pas là. Il est dans le discours du Président. Quand celui-ci brille par des contradictions dans les paroles et les actes, cela ne peut pas donner une leur d espoir. Substantiellement, son discours manque d’énergie. Il privilégie l’élite de son parti au détriment du bien du pays. Il y ‘ a une force qui agit et qui l’emmène à changer dans ce qu’il dit et dans ce qu’il fait » regrette-t-il.
Gervais Nibigira est en exil. Il est le vice-président du Réseau des Citoyens probes. Sur la question de savoir l’intérêt réel des sanctions en vogue à Bujumbura, il estime que le Président a les pleins pouvoirs constitutionnels d’agir ainsi sauf que la procédure en soi ne respecte pas la loi en la matière.
« Premièrement, Evariste Ndayishimiye éprouve de grandes difficultés en matière de bonne gouvernance. D’ordinaire, Il est supposé qu’il reçoit tous les rapports administratifs qui l’oriente d’ailleurs dans la prise de décisions qui s’imposent. Il est très difficile de comprendre les raisons qui le poussent à agir ainsi alors qu’il y a une procédure légale de suspendre quelqu’un de ses fonctions. Ce n’est pas seulement Albert Maniratunga. Ici, on peut parler de l’ancien directeur de la Regideso qui a été démis de ses fonctions après avoir fait objet de graves accusations de détournements par le chef de l’Etat.
Deuxièment, dans ses sanctions/nominations, on peut entrevoir le jeu de ce qu’on appelle la République des copains. Cela veut dire qu’elle est marquée par une sorte de marchandage ou celui-ci quitte ce poste en remplacement d’un autre. Ils se tiennent par la barbichette. Il y a une raison derrière : c’est qu’ils doivent être de bons alliés pour pérenniser le système ayant été pour la plupart d’entre eux le fruit de la rébellion. Il se voit aisément que ces décisions ne servent en rien à l’intérêt du pays. Ainsi, le président Ndayishimiye se refuse même la possibilité de prendre des décisions fortes, des choix souverains et des orientations claires », réagit-il.
Le président Ndayishimiye, va-t-il définitivement louper le pouvoir d’imposer ses décisions ?
C’est la deuxième question que nous avons posée à nos interviewés. Pour Balthazar Rukundo, jusqu’ici, à moins qu’il y ait des affaires non révélées publiquement et dans lesquelles il parvient à faire la différence sinon il est difficile qu’Evariste Ndayishimiye s’impose tant que ses discours restent lettre morte et sont marqués par des contradictions sur terrain. Mais pourquoi ? La cause est peut-être ailleurs.
« Il sait pertinemment la manière dont il a accédé au pouvoir. En prenant de telles décisions, il le fait sans mesurer les effets sur sa propre image et le rapport de force qui s’impose. Je n’ai jamais vu un Président qui se contredit de telle manière. Ses discours répondent vraiment à quelle offre politique? Pour moi, il a déjà perdu cette bataille, il faudra qu’il essaie de fouetter d’autres champs aussi importants que la corruption comme la pauvreté endémique qui est dans notre pays », martèle Balthazar Rukundo.
Le Réseau des Citoyens Probes fait plutôt un clin d’œil au président Ndayishimiye:
« Les conséquences d’une parole non tenue par le Président désacralise ses fonctions. Symboliquement, le Président est une institution. Il est aussi le garant de la chose publique. Sa parole devrait être souveraine. Souvent, il n’en est pas le cas. L’affaire du barrage Mpanda illustre parfaitement cette situation. Evariste Ndayishimiye avait dit qu’il donne un ultimatum de deux semaines à la commission du ministère des énergies et mines et lui faire un rapport, on en est déjà à la troisième semaine. Vraiment, qui peut lui faire encore confiance quand il annoncera d’autres mesures ? », ajoute Gervais Nibigira.
Visiblement, ces affaires n’en finissent pas d’étaler même les faiblesses institutionnelles du pays. Une volée de bois vert de la presse tant nationale qu’internationale. Bien plus, l’on ne saura pas s’il déviera d’un pouce de sa stratégie de communication pour ré-affermir en actes et paroles sa volonté de changer les choses. Cependant, si l’espoir est une mission difficile par les temps qui courent au pays, il mérite pourtant, plus que jamais, d’être cultivé sans se lasser. Pour ce, il lui faudra encore tenir la ligne du programme électoral qu’il a arrêtée quand il a pris les rênes du pouvoir.
« Le pari est jouable car son discours lui fait adopter des décisions contradictoires avec un aplomb qui emporte l’adhésion de toute l’oligarchie à la tête du pays sans rencontrer la moindre opposition à l’intérieur du système », conclut Jules Ndabemeye.
Steve Baragafise | Phare Africa Bujumbura