La Commission Vérité et Réconciliation (CVR) a animé une conférence de presse à l’endroit des professionnels des médias. Le but de cette conférence était d’informer les médias sur le travail déjà accompli dans la ville de Bujumbura concernant les auditions des témoins et les exhumations des fosses communes de 1972.
« Depuis le 27 juillet 2021, nous avons commencé à nous déployer dans les 13 zones des 3 communes urbaines de Bujumbura. Nous avons déjà auditionné plus de 50 personnes ayant un âge variant entre 60 et 85 ans, des hommes et des femmes, des veuves et des orphelins, d’anciens fonctionnaires, d’anciens chauffeurs, d’anciens étudiants, ... qui nous ont parlé de la manière dont ils ont vécu la crise de 1972 à Bujumbura », indique le président de la CVR, Pierre Claver Ndayicariye.
Selon lui, les témoins ont déjà révélé à la CVR que l’Armée, l’Administration, la Sûreté, le parti UPRONA, la JRR (Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore), ... étaient directement impliqués dans les arrestations et les tueries, que ces dernières visaient une partie de la population, les Bahutu ayant fait des études ou ayant un niveau de vie aisé.
D’après Ndayicariye, des fosses communes ont été creusées à Buterere par des machines du ministère des Travaux Publics avec la participation de chauffeurs zaïrois pour la plupart.
Pierre Claver Ndayicariye fait savoir que des pillages ont été faits systématiquement dans des maisons de l’Etat dont les veuves et les orphelins ont été expulsés. La suite fut une vie de galère, une vie de dures épreuves pour les veuves et les orphelins.
« Il y a eu des cas de Batutsi qui ont tenté de s’interposer en faveur des innocents et qui ont été tués par leurs confrères Batutsi. »
La CVR indique que de nombreux citoyens innocents étaient arrêtés sur base de listes préétablies.
« A Buyenzi, plusieurs Bahutu ont dû changer de nationalité en disant qu’ils étaient zaïrois dans le but d’échapper aux rafles. Les victimes étaient arrêtées, conduites dans des camps militaires où elles étaient tuées à la baïonnette, achevées à coups de bâtons, à coups de fer à béton ou fusillés. Les familles qui tentaient de leur apporter la nourriture au Commissariat n’étaient pas autorisées à les voir. »
Selon le président de la CVR, les arrestations s’opéraient soit à domicile, soit au service, soit sur des barrages routiers. Des victimes étaient embarquées à bord des véhicules des militaires et ces derniers étaient assis sur elles.
« Les arrestations visaient essentiellement des hommes adultes et valides, même si quelques femmes ont été aussi tuées. Il était interdit de passer d’une commune à une autre sans être muni d’un laissez-passer dûment signé par l’autorité provinciale. Certains Batutsi furent aussi assassinés par leurs confrères, victimes de règlements de compte. »
Le président Michel Micombero indexé
« Le Président de la République est en premier le responsable des massacres des populations », assure Pierre Claver Ndayicariye.
A Bujumbura, poursuit-il, les fosses communes étaient souvent creusées pendant la journée pour recevoir des cadavres pendant la nuit. Des militants de la JRR étaient très actifs dans la traque des Bahutu à qui ils faisaient subir la torture aux couteaux.
« Lors des arrestations sur les barrières, les victimes à abattre étaient humiliées publiquement en disant qu’ils cherchaient sur leurs corps des scarifications (indasago). Les victimes étaient battues avec des marteaux sur la tête. Les autres
étaient transpercées de couteaux. Il y a des victimes dont les bourreaux attachaient fortement les mains derrière le dos jusqu’à ce que la mort s’en suive après deux ou trois jours. » ;
D’après toujours Ndayicariye, les archives parlent beaucoup plus que les témoins.
« En Mairie de Bujumbura, il n’y a pas que les veuves et les orphelins qui ont parlé. Même les archives sont en train de parler. Les archives renseignent sur les noms des personnes arrêtées en mai 1972, sur les véhicules et les maisons saisis, sur les comptes bancaires saisis, sur les personnes condamnées à mort par le Conseil de guerre de mai 1972, sur les discours politiques de l’époque, etc. »
Au ministère de l’Education nationale, indique le président de la CVR, des fonctionnaires et des enseignants tués ont été révoqués sous l’accusation de poursuites judiciaires, de démission, ou de désertion alors qu’ils avaient été tués.
« Nous avons trouvé une lettre de mise en disponibilité glissée dans un dossier personnel d’un fonctionnaire tué. »
Pierre Claver Ndayicariye fait savoir qu’en date du 28 juillet 2021 a débuté les exhumations proprement dites des victimes des violations des droits humains commis en 1972 dans la ville de Bujumbura. L'activité s’est déroulée surtout au Quartier 1 à Buterere, Cellule 4 au lieu-dit « Ku bumwe ».
« Ainsi 3 fosses communes ont été vérifiées et une autre a été confirmée sous le pied d'un bananier. Des témoins ont révélé à la CVR que les victimes étaient amenées à cet endroit par des militaires à bord des camions. Ces victimes, des intellectuels pour la plupart, étaient originaires de différentes provinces du pays mais principalement des provinces Bubanza et Bujumbura. »
Ces fosses communes se trouvent dans un sol sablonneux mélangé au gravier dans une zone marécageuse.
« Le gravier a été utilisé pour remblayer le marais. D'autres ossements sont encore visibles près des maisons d'habitation. Ils ont été jetés à cet endroit lors de la construction des maisons, selon les mêmes témoins. »
En date du 30 juillet 2021, une autre fosse commune datant de 1972 a été vérifiée et confirmée dans la commune Ntahangwa, zone Buterere, localité de Buterere.
Steve Baragafise/Phare Africa Bujumbura