Dans une déclaration intitulée « RUSIZI ou l’Abattoir des Humains », sortie ce vendredi 13 août 2021, le Forum pour la Conscience et le Développement (FOCODE) revient, avec des détails, sur les cas de disparitions forcées, les assassinats et les autres crimes graves commis sur les bords de la rivière Rusizi dans les communes de Rugombo et Buganda en province de Cibitoke. Selon cette organisation, les autorités burundaises doivent faire la lumière sur ce phénomène.
Le FOCODE fait savoir qu’elle a recueilli des informations et des témoignages sur plusieurs cas de disparitions forcées et d’autres crimes graves, y compris des assassinats, commis depuis janvier 2020 par des miliciens Imbonerakure, des policiers et des agents des services de renseignement chargés de surveiller les mouvements de personnes sur la Rusizi dans les communes de Rugombo et Buganda en province de Cibitoke. Plusieurs dizaines de cadavres humains non identifiés ont été retrouvés dans la rivière Rusizi et à ses bords sur la même période.
La rivière Rusizi constitue, dans les communes précitées, une frontière naturelle entre le Burundi et la République Démocratique du Congo (RDC) et se trouve sous une surveillance particulière des autorités burundaises craignant qu’elle soit utilisée par des groupes rebelles installés en RDC pour traverser vers le Burundi. A cet effet, souligne cette organisation, des éléments de l’armée, de la police, du service national de renseignement et de nombreux miliciens Imbonerakure sont déployés sur les bords de la Rusizi.
La fermeture de la frontière burundo-congolaise en raison de la pandémie de la Covid-19 a créé une nouvelle donne : incapables de passer par les postes frontaliers officiels, plusieurs personnes payent des passeurs qui les font traverser la Rusizi pour se rendre au Burundi ou en RDC. Du côté du Burundi, des miliciens Imbonerakure décident arbitrairement qui ils laissent passer, qui ils arrêtent et remettent au SNR et parfois qui ils tuent notamment pour voler ses biens précieux.
« Des informations confidentielles font également état de personnes arrêtées dans d’autres localités du pays et qui se feraient exécuter sur les bords de la Rusizi ou bien des personnes tuées ailleurs et dont les cadavres seraient souvent jetés dans la Rusizi ainsi que dans ses environs. »
La Rusizi, un mouroir
Dans sa déclaration, le FOCODE donne des détails sur 7 cas pouvant constituer des cas de disparitions forcées liés au phénomène de la traversée de la Rusizi. Il s’agit des cas d’Isaïe Ndayahundwa et Seth Gabriel Butoyi arrêtés en commune Buganda le 18 janvier 2020, Yvan Ndayishimiye et Jean-Marie Nahayo qui auraient été arrêtés en commune Rugombo le 4 octobre 2020, Michel Mbarubukeye, Vianney Rumumba et Félix Irangabiye arrêtés en commune Rugombo en novembre 2020.
Le FOCODE revient également sur 5 cas de disparitions signalés par les familles des victimes comme ayant eu lieu au bord de la Rusizi. Il s’agit de Japhet Nahayo en mai 2021 dans la commune Buganda, Janvier Hakizimana et Joseph Nsengiyumva en mai 2021 dans la commune Rugombo, Bernard Mandera en septembre 2020 en commune Rugombo et Egide Niyonkuru en juin 2020 en commune Rugombo.
Deux cas d’assassinats survenus au bord de la Rusizi ont également fait l’objet d’enquête du FOCODE : celui du béninois Pasteur Franck Yandoka dont le cadavre a été trouvé en commune Buganda en avril 2021 et celui du congolais Onesphore Ruhimbya dont le cadavre a été découvert en commune Rugombo en mai 2021.
D’après cette organisation de défense des droits humains, la déclaration rappelle plusieurs articles du journal SOS Media Burundi portant sur plus de 70 corps humains découverts au bord de la Rusizi dans les mêmes communes et enterrés sans aucune identification sur ordre de l’administration.
« Selon ces 25 articles consultés, au moins 15 corps ont été découverts dans la Rusizi ou à ses bords, entre janvier et juin 2021, dans les communes de Rugamba et Buganda. Au moins 33 corps ont été découverts en 2020. Au moins 24 corps ont été découverts dans la deuxième moitié de 2019. Au total, 72 corps ont été découverts dans la Rusizi ou à ses bords entre juin 2019 et juin 2021. 40 corps ont été découverts sous le régime du président Ndayishimiye (de juin 2020 à début juillet 2021). »
Le FOCODE est convaincu que le nombre de corps découverts est trop inférieur par rapport à la réalité du phénomène.
« Selon des sources au SNR et chez des miliciens Imbonerakure, beaucoup de corps jetés dans la Rusizi ont été mis dans des sacs avec de grosses pierres pour éviter la remontée des corps à la surface. »
Selon le FOCODE, les situations décrites dans cette déclaration démontrent enfin l’écart entre les promesses du président Evariste Ndayishimiye et la réalité sur terrain.
« Une année après sa prise du pouvoir, les violations graves de droits humains continuent dans la toute impunité de leurs auteurs. L’espoir des familles des victimes reste tourné vers la Cour Pénale Internationale (CPI) pour un début de reddition des comptes des auteurs des crimes graves. »
Le FOCODE demande des enquêtes indépendantes
Cette organisation assure que, comme dans la quasi-totalité des cas de disparitions forcées documentés par la « Campagne NDONDEZA contre les disparitions forcées au Burundi », les crimes évoqués dans cette déclaration n’ont pas fait objet d’une véritable enquête de la part des autorités burundaises.
« Alors qu’une bonne partie de ces crimes ont été commis en 2020, la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) a mentionné dans son rapport annuel de 2020 qu’elle n’avait eu connaissance d’aucun cas de disparition forcée en 2020 et n’a accordé aucune attention particulière aux crimes graves qui sont régulièrement commis au bord de la rivière Rusizi. » Ceci démontre, poursuit-elle, à quel point le Burundi a besoin du maintien d’un mécanisme indépendant et crédible de documentation des violations de droits de l’homme à l’instar de la Commission d’Enquête sur le Burundi (COI Burundi).
Sur ce, le FOCODE condamne le silence et l’inaction des autorités burundaises sur les nombreux crimes qui sont commis aux bords de la rivière Rusizi dans les communes de Rugombo et Buganda.
« Le FOCODE demande une enquête indépendante sur les cas cités de disparitions forcées, des disparitions et des assassinats et sur plusieurs dizaines de cadavres humains découverts au bord de la Rusizi et enterrés rapidement sans aucune identification des victimes dans les communes de Buganda et Rugombo. »
Le FOCODE dénonce l’attitude complaisante de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) qui reste également muette sur les crimes commis au bord de la Rusizi et lui demande de mériter son nouveau statut A en se montrant plus éloigné du DENI des crimes graves affiché par les différentes autorités et institutions burundaises.
Cette organisation appelle au renouvellement du mandat de la Commission d’enquête sur le Burundi (COI Burundi et demande aux partenaires du Burundi, notamment à l’Union Européenne engagée dans un processus de normalisation de ses relations avec le Burundi, d’exiger la lumière sur les crimes graves commis au bord de la rivière Rusizi, y compris des cas de disparitions forcées, et des engagements forts sur la traduction en justice des agents de l’Etat impliqués dans ces crimes. Et à la Cour Pénale Internationale d’enquêter sur les crimes graves commis au Burundi au bord de la rivière Rusizi, y compris des cas de disparitions forcées, et l’engagement des poursuites contre leurs auteurs présumés.
Steve Baragafise/Phare Africa Bujumbura