Burundi : pour le CAVIB, la CVR n’a pas les prérogatives pour qualifier les événements de 1972 de génocide

Burundi : pour le CAVIB, la CVR n’a pas les prérogatives pour qualifier les événements de 1972 de génocide

Burundi : pour le CAVIB, la CVR n’a pas les prérogatives pour qualifier les événements de 1972 de génocide

By / CULTURE ET SOCIETE / Thursday, 30 December 2021 14:32


Le Collectif des Avocats pour la Défense des Victimes de Crimes de Droit International commis au Burundi (CAVIB) trouve que la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) n'a ni les pouvoirs ni les prérogatives pour qualifier les violations des droits de l'homme comme étant des crimes de droit international commis au Burundi. Devant les deux chambres du parlement réunies, Pierre Claver Ndayicariye, président de cette institution, a déclaré, ce 20 décembre 2021, que le crime de génocide a été commis contre les Bahutu du Burundi en 1972-1973.

« L'Accord d'Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi du 28 août 2000 dispose qu'en enquêtant pour faire la lumière et établir la vérité sur les actes de violence graves commis au Burundi : ‘’la Commission n'est pas compétente pour qualifier les actes de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre’’ ». Pour le CAVIB, la Commission s'est octroyé des pouvoirs qui ne lui sont pas dévolus.

Et le Collectif de se poser des questions :  S'est-elle transformée en une instance d'investigation judicaire ou s'est-elle adjugée les compétences du Conseil de Sécurité des Nations-Unies ou d'un Tribunal ? Sur base de quel texte d'habilitation ou de dévolution de ces pouvoirs ? « L'article 2 de la loi qui la porte lui dénie toute prérogative judiciaire. Dans un Etat de droit, cela est punissable sous les incriminations d'abus d'autorité et d'usurpation des pouvoirs, entre autres. »

Selon le CAVIB, la CVR est un mécanisme désarticulé et vidé de toute référence à la justice. « Cette désarticulation consacre en fait l'inadéquation du mandat de la Commission à la nécessaire complémentarité entre la vérité, la justice, la réparation et les garanties de non-répétition. » Autrement dit, poursuit l’organisation, l'absence de complémentarité entre la CVR et un mécanisme de justice a été volontairement planifié, et les improvisations actuelles de la CVR découlent de cette ablation des mécanismes de justice transitionnelle pourtant convenus à Arusha.

Selon le CAVIB, les rédacteurs de la loi sur la CVR ont omis sciemment de reprendre l'interdiction faite à la Commission de qualifier les crimes de droit international car cela aurait fait raviver, de la part de l'Etat burundais, l'obligation de mettre sur pied le mécanisme compétent pour cette qualification, à savoir le Tribunal Pénal Spécial pour le Burundi. « Profitant de l'absence de cette complémentarité, la CVR, comme par planification concertée avec le gouvernement, s'octroie des pouvoirs qu'elle n'a pas pour qualifier. »

La CVR au service du parti au pouvoir ?

Le CAVIB trouve que la CVR souffre à la fois d'un manque de neutralité, d'indépendance et d'impartialité, de la non inclusivité structurelle et fonctionnelle, et du caractère insuffisant et inadapté du mécanisme de protection des victimes, auteurs et témoins. « La composition de ses membres, leur désignation et leurs modes d'action des commissaires, comme les enquêtes, les analyses et les rapports font de la CVR un mécanisme au service du pouvoir qui l'a désigné et à qui elle est entièrement soumise. »

D’après le Collectif, 9 au moins des 13 membres de la Commission sont des militants politiques dont de grands ténors du parti au pouvoir, le CNDD-FDD. « Leur désignation a été opérée en solo par le parti présidentiel tant en 2014 qu'en 2018. Le contrôle de la Commission par le parti au pouvoir lui garantit inféodation totale, comme c'est déjà le cas pour les autres commissions et autres services censés être neutres et indépendantes : Commission nationale des terres et autres biens (CNTB), Commission électorale nationale indépendante (CENI), Conseil supérieur de la magistrature, Commission nationale Indépendante des droits de l'homme, etc. »

Le Collectif indique que les enquêtes de la CVR elles-mêmes sont parcellaires, partielles et partisanes comme l'illustrent les descentes sur le terrain de la CVR en bonne compagnie des autorités politiques et du parti au pouvoir avec orchestration des campagnes médiatiques teintées de discours de campagne électorale, d'indexation des Burundais de l'ethnie Tutsi et de discours de haine tolérés au niveau de la Commission. « Les enquêtes, qui doivent normalement couvrir toute l'histoire nationale, sont, contre toute logique, dirigées intentionnellement vers la période de 1972, au lieu de commencer par les premières crises du Burundi indépendant, notamment la première crise ethnique de 1965. Même pour cette période, les enquêtes ne s'intéressent qu'aux violations qui ont frappé les burundais de l'ethnie Hutu, à l'exclusion d'autres composantes nationales qui, pourtant, ont été, en termes calendaires, les premières victimes de la période privilégiée. »

« La gestion, en apparence concertée, entre la commission et le gouvernement, de certains faits et situations marquant les deux grandes périodes de crise nationale, à savoir 1972 et 1993 et au-delà, fait penser à une certaine collaboration vers un objectif commun : une vérité particulière et trafiquée, celle des violations et crimes imputables à une catégorie préétablie de Burundais et à qui la responsabilité serait collée. »

Le CAVIB constate que la commission a perdu toute légitimité et crédibilité pour s'être transformée en un outil de propagande du parti au pouvoir et un instrument de travestissement de l'histoire nationale et de revanche politique. « Au lieu de contribuer à la recherche de la vérité et à la réconciliation nationale, le CAVIB constate que la Commission attise la haine et les rancœurs du passé, travaillant ainsi à l'inverse de sa mission première. » 

Le CAVIB appelle le gouvernement burundais à constater que l'investissement fait dans la CVR actuelle est contreproductif et que par conséquent, il est plus que temps de revoir sa copie en recréant, de concert avec les acteurs nationaux et les soutiens internationaux, de véritables mécanismes de justice de transition fondés sur les principes de l'Accord d'Arusha.

Steve Baragafise|Phare Africa Bujumbura

 

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