Ce brillant intellectuel fut le premier Africain docteur en exégèse (1971). Le premier Africain secrétaire spécial d’un synode des évêques (2008). En 2012, il copréside avec Benoît XVI le synode sur la nouvelle évangélisation. Membre de diverses sociétés savantes, il parlait sa langue maternelle, le kisakata, ainsi que le lingala (lingua franca de l’ouest du Congo), le swahili (idem pour l’est), le français, l’italien, l’allemand, l’anglais, le néerlandais, l’hébreu moderne, l’espagnol et le portugais ; il avait aussi “appris l’hébreu ancien, le grec, l’araméen, le syriaque et le latin” (1). Il a composé une dizaine de pièces pour orgue mais se défendait d’être, pour les jouer, autre chose qu’“un dilettante quelque peu formé” ; ce goût pour la musique classique européenne ne l’empêchait pas d’apprécier les grandes vedettes de la musique populaire congolaise – Rochereau, Franco, Kabasele ou Simaro.
Ses capacités intellectuelles et sa rigueur morale lui donnaient une sûreté de soi qui faisait défaut à nombre de ses interlocuteurs, hommes de pouvoir dont la plupart n’étaient, à ses yeux, que “des invertébrés”, girouettes reniant leur signature avant que l’encre ait séché sur le document. Elles ont contribué à donner à ce prélat à la voix douce, démentie par un visage sévère, un rôle politique essentiel pour le pays.
Une famille de chefs du Maï Ndombe
Laurent Monsengwo est né le 7 octobre 1939 près d’Inongo (Maï Ndombe, ex-Bandundu, ouest du pays), dans une famille de chefs des Basakatas “connus pour leur endurance et leur obstination” (1). Son père était charpentier et menuisier à la Forescom, une entreprise belge, et accroissait ses revenus en construisant des meubles après le travail. De quoi subvenir aux besoins de la famille, très chrétienne, qui comptera huit enfants, dont six garçons ; “nous étions une famille heureuse”, dira le prélat.
Il fait ses études secondaires au petit séminaire de Bokoro et trois années de philosophie au grand séminaire de Kabwe, après lesquelles ce brillant élève est envoyé à Rome étudier la théologie ; il y est ordonné prêtre en 1963. Il deviendra le fils adoptif de Gaston Leysen et son épouse, des Anversois chez qui le jeune Congolais logera pendant ses études, dans les années 60.
En 1980, Jean-Paul II le fait évêque et, huit ans plus tard, Mgr Laurent Monsengwo est archevêque de Kisangani ; il deviendra celui de Kinshasa en 2007, charge qu’il laissera à Mgr Fridolin Ambongo en 2018. En 2010, Benoît XVI le fait cardinal.
Laurent Monsengwo a aussi été secrétaire général puis, par deux fois, président de la Conférence épiscopale du Zaïre ; président du Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et Madagascar ; président de Pax Christi International. Il représentait l’Afrique dans le collège des neuf cardinaux nommés par le pape François pour travailler à la réforme de la Curie.
Hors du Zaïre, toutefois, c’est son irruption sur la scène politique qui le fera connaître du grand public.
À partir des communautés ecclésiales de base
En 1990, l’archevêque de Kisangani est la cheville ouvrière du mémorandum de l’Église adressé au président Mobutu et demandant, en définitive, un changement de régime. Les prélats jugent en effet de leur devoir de prendre position “lorsqu’un système de gouvernement est entaché dans ses principes ou traduit, dans ses structures et moyens d’action, des normes contraires au bien commun et aux droits de l’Homme”. L’Église en est venue à ces positions en développant, depuis quelques années, notamment sous l’impulsion de Laurent Monsengwo, les communautés ecclésiales de base – confiées à des laïcs locaux – pour approfondir la foi des chrétiens et organiser la solidarité dans les villages.
En 1991, Monsengwo est élu président de la Conférence nationale, chargée de dresser les grandes lignes d’un Zaïre plus démocratique ; il avait été le seul à être ovationné sur la vingtaine de candidats à ce poste. Son autorité naturelle et son sens de l’équité lui gagnent le respect des quelque 3 000 (turbulents) membres de cette assemblée et, par-delà, de tous les Zaïrois qui suivent la politique. Il veut alors, dira-t-il “montrer à notre peuple que le Zaïre peut s’en sortir. Le découragement n’est pas le fait du chrétien. Dieu demande à chacun de faire de son mieux. Et si chacun de nous le fait, Dieu fera le reste” (1).
C’est encore lui qui sera choisi pour diriger le Haut Conseil de la République/Parlement de transition, de 1992 à 1996. Cette assemblée, en 1994, avait invité le dictateur à quitter le pouvoir et proposé le prélat pour le remplacer ad interim. Mais Mobutu s’accroche au fauteuil présidentiel grâce, dénonce Mgr Monsengwo, au “viol constant” de la Constitution.
La guerre des six jours à Kisangani
C’est la rébellion de l’AFDL qui, en 1997, force le potentat à prendre la fuite – et c’est le porte-parole des rebelles, Laurent Kabila, qui enfile les chaussures du dictateur. Le nouveau venu supprime la Constitution, donc la légalité constitutionnelle que défendait le prélat. Figure emblématique du processus de démocratisation, Mgr Monsengwo s’extrait des querelles politiciennes et s’immerge dans les affaires de son archevêché.
Mais à nouveau la politique s’impose à lui. En 1998, Laurent Kabila a rompu avec ceux qui l’avaient amené au pouvoir, le Rwanda et l’Ouganda et la guerre a repris. En juin 2000, ces deux pays s’affrontent pour le contrôle des richesses du Congo à Kisangani. L’archevêque de la ville martyre voit, impuissant, leurs affrontements à l’arme lourde tuer un millier de personnes et en blesser quelque 3 000 autres, essentiellement des civils congolais, en six jours. Laurent Monsengwo en gardera une rancune constante pour Kigali et Kampala, qu’il stigmatisera à plus d’une reprise et contre lesquels il demandera, en 2006, la création d’un tribunal pénal international. En vain, mais l’Ouganda a, depuis lors, été jugé coupable par la Cour internationale de Justice de La Haye, qui doit encore statuer sur les dommages à payer au Congo ; le Rwanda ne reconnaissant pas cette juridiction, il n’a pas été jugé.
Des élections non “conformes à la vérité”
Après l’assassinat de Laurent Kabila, en 2001, et la prise de pouvoir par son fils Joseph, Mgr Monsengwo contestera publiquement la “réélection” de ce dernier, en 2011 : les résultats officiels, dira-t-il publiquement, ne sont “conformes ni à la vérité, ni à la justice”. Cela n’empêchera pas Joseph Kabila d’imposer son deuxième mandat et, espère-t-il, un peu plus. Fin 2016, en effet, les élections dues pour le remplacer n’ont pas lieu et les manifestations de protestation se succèdent ; l’Église propose sa médiation mais Kabila ruse et, au lieu de décembre 2017, comme convenu, reculera le scrutin jusqu’en décembre 2018.
En janvier de la même année, Mgr Monsengwo, bien qu’affaibli par des problèmes de santé, apporte un soutien remarqué aux manifestations de chrétiens protestant contre cette violation de la Constitution. “Il est temps que les médiocres dégagent”, tonne le prélat. Les médiocres préfèrent réprimer les chrétiens dans le sang ; l’archevêque comparera les victimes aux martyrs de l’Indépendance. C’est cet homme exceptionnel qui vient de rejoindre son créateur, après une vie courageuse.
(1) “Mgr Monsengwo, acteur et témoin de l’histoire”, par Godé Iwele, Ed. Duculot 1995.
La Libre Afrique