« Pour le territoire d’Uvira, avril 2021 a été le deuxième mois le plus actif en termes d’affrontements depuis mi-2017 », avec au moins 15 confrontations, observe M. Boisselet.
Des avocats mandatés par la communauté Banyamulenge, dont Bernard Maingain, ont récemment dénoncé une « véritable épuration ethnique en cours de réalisation au vu et au su de tous ».
Dominant majestueusement le lac Tanganyika et le Burundi voisin, les montagnes verdoyantes des Hauts plateaux, qui culminent à plus de 3.000 mètres, sont depuis trois décennies un des habituels points chauds de l’est de la RDC.
Les conflits y sont récurrents entre groupes armés issus des communautés locales Babembe, Banyindu, Bafulero et Banyamulenge. Ces derniers, des éleveurs Tutsi aux lointaines origines rwandaises, sont souvent au coeur de la controverse, s’estimant discriminés mais également accusés d’être instrumentalisés ou d’agir au service du Rwanda voisin pour « balkaniser » l’est du pays.
La question est politiquement ultra-sensible, et le nom des Banyamulenge reste bien souvent associé dans l’esprit des Congolais aux évènements tragiques qui ont plongé les Kivu – et tout le pays avec – dans le chaos, onde de choc du génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda.
Des Banyamulenge ont en effet pris part à la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame, puis aux rébellions soutenues par Kigali, l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila et le RCD (Rassemblement congolais pour la Démocratie) dans les années 2000, responsables de nombreuses exactions contre les civils.
En riposte, des groupes armés Maï-Maï issus d’autres communautés ont pris les armes, s’en prenant aux civils banyamulenge, plongeant la région dans le cycle infernal des violences, entrecoupées de quelques répits. Depuis 2018, la situation s’est à nouveau dégradée.
Le fait préoccupant est qu’en avril, « les combats se sont étendus à une zone épargnée jusque là, Rurambo, où il y avait une relative coexistence », remarque M. Boisselet.
Plus précisément, ils opposent une importante coalition de groupes Maï-Maï locaux aux combattants banyamulenge « Twigwaneho » d’un colonel déserteur de l’armée, Michel Rukunda.
La recrudescence des violences « serait liée à une incursion d’hommes armés en provenance du Burundi en mars, (…) des rebelles burundais Red-tabara alliés à des Maï-Maï », selon KST.
« Si les violences sont cycliques sur les Hauts plateaux, cette situation est relativement nouvelle », analyse M. Boisselet. Accessoirement, elles ont éclaté après une courte accalmie à la faveur d’un « dialogue » intercommunautaire et un accord signé le 31 mars à Kinshasa, resté donc lettre morte.
Ces incidents « commencent à déborder » sur les territoires voisins, s’inquiète un rapport d’une ONG internationale.
Les « tensions sont à leur paroxysme » dans ces territoires, où les milices « échappent toutes au contrôle de leurs communautés et les affrontements impliquent des représailles d’une violence extrême », avec une criminalité qui croît « à un rythme exponentiel ».
Les risques « ont plus que doublé » dans la zone des Moyens et Hauts plateaux d’Uvira, « destination finale de tous les groupes armés » qui ont considérablement renforcé leurs rangs ces dernières semaines, depuis les forêts de l’arrière-pays ou la plaine de la Ruzizi, frontalière du Burundi, « point d’infiltration » des combattants étrangers, constate un rapport d’une autre ONG.
« Cela a entraîné des affrontements d’une rare violence », souligne cette organisation, s’alarmant elle aussi d’un conflit qui « s’étend ».
Elle pointe au passage plusieurs facteurs aggravants: la « léthargie au sein des forces régulières », les divisions de l’exécutif provincial, une société civile « instrumentalisée », des accusations de détournements par le gouverneur et des infrastructures « en état de délabrement avancé ».
Conséquence de cette flambée de violences, dont le bilan humain n’est pas connu, près de 3.000 déplacés banyamulenge ont fui les montagnes pour trouver refuge à Uvira.
« Nous avons été attaqués par les Maï-Maï et des miliciens burundais », accuse l’une de ces déplacés, Aline Ndariburugwa. « Des personnes sont mortes, des maisons ont été incendiées (…) tous nos biens ont été emportés ».
« Au point de vue militaire, nous essayons de faire ce que nous pouvons pour protéger les populations civiles », déclare le porte-parole de la mission de l’Onu dans le pays (Monusco), Mathias Gillmann, à l’AFP.
Les Casques bleus ont installé récemment une nouvelle base dans la zone « pour répondre à l’urgence », rappelle M. Gillmann, notant « les problèmes d’accès et d’absence des autorités de l’État », tout en soulignant que « la solution viendra des communautés ».
Près de 122 groupes armés sévissent aujourd’hui dans tout l’est congolais. Depuis début 2021, pour les seuls Nord et Sud-Kivu, au moins 490 civils y ont été tués, selon KST.
Ces derniers mois, l’attention internationale s’est plutôt portée sur les très meurtriers rebelles d’origine ougandaise ADF (qui opèrent dans le Nord-Kivu, près de la frontière ougandaise) et leurs supposés liens avec l’État islamique.
Pour tenter de juguler leurs tueries, le président Félix Tshisekedi a proclamé le 6 mai dernier l’état de siège au Nord-Kivu et dans l’Ituri voisin.
L’état de siège pourrait cependant « entrainer la fuite des groupes armés et autres criminels vers les territoires voisins du Sud-Kivu », s’inquiète déjà l’un des rapports d’ONG
La Libre afrique