Après la grave crise politique et humanitaire provoquée en 2015 par la volonté du président Pierre Nkurunziza de se présenter à un troisième mandat, interdit par l’Accord de paix d’Arusha, l’UE avait suspendu son aide directe à Gitega en raison des violations massives des droits de l’Homme perpétrées par les autorités réprimant les protestataires et ceux qu’elles leur assimilaient. Cette décision avait été prise pour respecter l’article 96 de l’Accord de Cotonou qui régit les relations entre l’UE et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Bruxelles avait alors fixé les domaines où des progrès concrets étaient nécessaires de la part des autorités burundaises pour que soit levée la suspension de l’aide.
L’arrivée au pouvoir, en juin 2020, après des élections irrégulières, du général Evariste Ndayishimiye, a amené un très léger soulagement du carcan dans lequel sont emprisonnés les Burundais. Ainsi, quatre journalistes condamnés pour avoir voulu faire un reportage sur une attaque armée ont été grâciés à Noël 2020 ; la grâce de 5000 détenus de droit commun a été annoncée (mais n’est effective que pour la moitié d’entre eux) alors que les prisons sont bondées ; une radio privée, Bonesha, a été autorisée à reprendre ses émissions, sous conditions, après la destruction d’une demi-douzaine d’entre elles en 2015 ; le dialogue a repris en février dernier avec l’UE.
L’arbitraire des forces officielles et de la milice
C’est sur cette base extrêmement réduite que l’UE veut s’appuyer pour renouer avec le régime semi-militaire de Gitega, alors, rappellent de nombreuses ONG, que la population demeure soumise à l’arbitraire des forces officielles et de la milice du parti au pouvoir, les Imbonerakure, rendues responsables de meurtres quotidiens. En un an de présidence Ndayishimiye, indique ainsi la Ligue Iteka, “au moins 554 personnes ont été tuées” ; 53 “enlevées et portées disparues”. “Près de la moitié” des morts ont été retrouvés “dans les rivières, lacs, caniveaux et ruisseaux” et les autorités s’empressent de les enterrer sans identification, ce qui entrave les enquêtes.
Douze ONG, qui ont écrit une lettre ouverte à l’Union européenne pour la dissuader de lever la suspension de l’aide directe au Burundi tant que des progrès concrets ne sont pas obtenus, indiquent que les défenseurs des droits de l’Homme sont menacés ; que les journalistes sont contraints à l’autocensure ; qu’il y a de nombreux prisonniers politiques et qu’ils n’ont pas droit à des procès équitables ; que la torture est toujours pratiquée par les forces officielles et les Imbonerakure et que Gitega a fait fermer le bureau du Haut-Commissariat de l’Onu pour les droits de l’Homme. “L’UE ne devrait pas se fier aux promesses de réformes liées aux droits de l’Homme formulées par les autorités burundaises et devraient plutôt insister pour que celles-ci remplissent des critères concrets attestant de leur engagement […] à se lancer dans une voie respectueuse des droits humains”. Et de souligner que les promesses de Gitega présentées à l’UE sur les droits de l’Homme et les réformes à entreprendre sont “vagues et non contraignantes”.
Une déclaration trop lénifiante
Mais il n’y a pas que les ONG que le “il n’y a plus de conditionnalités” de l’ambassadeur Bochu a fait sursauter. Selon les informations recueillies par La Libre Belgique, certains diplomates européens jugent que le représentant de l’UE au Burundi a été trop loin dans sa déclaration. Si les 27 sont d’accord pour que les pourparlers avec le Burundi permettent un assouplissement du régime et une marche vers une normalisation des relations avec Gitega, une partie d’entre eux estiment que ce ne sera possible que si le dialogue permet l’établissement d’engagements concrets du régime burundais, avec un calendrier.
Évidemment, cela suscitera des tensions au sein du régime semi-militaire burundais, où cohabitent partisans de la ligne dure adoptée jusqu’ici et ceux qui plaident pour une amélioration des relations de la communauté internationale avec le Burundi, au bord du gouffre. Six ans de crise ont en effet amené le pays à une catastrophe économique sans précédent. Alors qu’il vit largement d’importations, le Burundi est quasiment privé de devises – introuvables dans les banques commerciales – qui s’obtiennent sur le marché noir 50 % plus cher que le taux officiel.
La Libre Afrique