Pendant un interrogatoire de plusieurs heures, parfois décousu, le président de la Cour Jean-Marc Lavergne a tenté de cerner qui était cet homme de 60 ans calme, poli, souriant à l’occasion. Et discret, même lorsqu’il fond en larmes à plusieurs reprises, notamment à l’évocation de son père décédé.
Toutefois, au fil de l’interrogatoire, le ton se fait de plus en plus assuré, et la ligne de défense de l’accusé se précise: citoyen ordinaire, mais victime d’un complot orchestré contre lui par les autorités rwandaises post-génocide.
Vêtu d’un sweat-shirt et d’un jean, M. Muhayimana, homme petit et costaud, s’exprime dans un français correct, même si certaines des questions du président lui sont traduites en kinyarwanda.
Poursuivi pour complicité de génocide et de crimes contre l’humanité lors de l’extermination des Tutsi du Rwanda en 1994, il tente de rester collé à l’image de « Monsieur tout le monde », de « citoyen ordinaire qui s’est retrouvé dans le chaos » défendue depuis le début par ses avocats.
« Je n’aime pas les zizanies dans ma vie », résume cet homme, qui comparaît libre. Il est accusé d’avoir transporté les tueurs hutu sur des lieux de massacres de Tutsi à Kibuye (ouest) lors des mois sanglants d’avril à juillet 1994, au cours desquels plus de 800.000 personnes, issues essentiellement de la minorité tutsi, ont été massacrées au Rwanda.
Zones d’ombre –
Pourtant, le parcours de ce « simple chauffeur » tel qu’il se décrit à plusieurs reprises, comporte de nombreuses zones d’ombre, qu’il n’éclaircit pas vraiment.
Questionné sur les mensonges apparus lors de sa demande d’asile en France, qui fut rejetée, et dans laquelle il affirmait notamment que plusieurs membres de sa famille ont été tués, il répond « ça a été mal interprété », et accuse le traducteur de l’époque d’avoir « inventé » et monté un dossier contre lui. Il charge aussi son ex-épouse, tutsi, dont le témoignage pourrait s’avérer crucial, et qu’il accuse d’être « téléguidée » par le régime rwandais.
Claude Muhayimana est membre du RNC (Rwandan national congress), un parti d’opposition au président rwandais Paul Kagame, qui dirige le pays d’une main de fer depuis la fin du génocide.
« Vous vous considérez comme la victime de manoeuvres politiques de Kigali, c’est pour ça que vous vous retrouvez aujourd’hui devant la cour d’assises ? », demande le président. « C’est ça. C’est ça », répond M. Muhayimana.
Dès l’ouverture de l’audience, le président a tenté de comprendre quelle connaissance Claude Muhayimana avait du génocide et de sa planification.
« Ce que je sais aujourd’hui, c’est qu’il y a eu un génocide mais je ne sais pas s’il a été planifié », a répondu l’accusé.
– « Une vie calme » –
Claude Muhayimana est né en janvier 1961 à Kibuye, d’un couple mixte, une mère tutsi et un père hutu, ce qui fait de lui un Hutu. Elevé dans une famille d’agriculteurs « très croyante », très proche de sa mère, il est le second d’une fratrie de quatre, dont certains vivent toujours au Rwanda.
Il a quitté le foyer à l’adolescence pour aller vivre dans une congrégation religieuse auprès d’une missionnaire belge avant de devenir chauffeur en 1986. Il épouse en 1990 Médiatrice Musengeyezu, une Tutsi, avec qui il aura deux filles. Le couple a divorcé au milieu des années 2000.
Après le génocide, M. Muhayimana, se disant menacé par les nouvelles autorités rwandaises, a fui au Zaïre en 1995, vécu en exil en Kenya, avant d’arriver en France en 2001, dont il obtiendra la nationalité en 2010.
Depuis 2007, il est employé à la mairie de Rouen. Décrit par des témoins comme « droit, sincère, investi et croyant », « c’est un homme sociable, qui mène une vie calme avec peu de loisirs », et un employé « ponctuel et sérieux », relève l’enquêtrice de personnalité.
L’accusé encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
La Libre Afrique